L'écrivain, qui exerce sa plus plume depuis près de cinquante ans, prend conscience du temps passé. Il nous entraîne dans une balade à travers le monde littéraire, avec une plume alerte où chaque anecdote fait revivre un peu de la littérature oubliée. On y croise aussi bien Richard Wright que Rachel Ertel, Francis Ponge qu'Hélène Cixous.
À travers ce récit très personnel, Henri Raczymow réveille, dans une langue élégante et précise, toujours avec un brin d'autodérision, un monde littéraire qu'il voudrait tellement ne pas voir oublié. Cet effleurement est un peu, pour ce spécialiste de Proust, sa recherche d'un temps perdu.
Henri Raczymow est né à Paris en 1948.
Il est l'auteur d'une quarantaine de livres dans de nombreux genres : romans, récits personnels, essais littéraires, dont Le Cygne de Proust (Gallimard, 1989) et Elle chantait Ramona (Gallimard, 2017).
Son oeuvre s'inscrit dans un souci constant : mettre au jour les traces mémorielles, personnelles ou familiales, même les plus fragiles, avant que le temps, l'oubli ou l'indifférence ne les engloutissent.
Proust meurt le 18 novembre 1922 à cinquante et un ans au 44, rue Hamelin à Paris. Si toute vie prend son sens en regard de sa fin, celle d'un écrivain se double d'une autre course de vitesse. Deux adversaires s'opposent : le souci d'achever son oeuvre et la mort qui se rapproche. Aura-t-il le temps d'atteindre son dermier mot, de poser le mot 'fin'? Pour Proust, les choses sont encore plus tragiques. Car la Recherche est une oeuvre toujours à reprendre, à corriger, à nourrir. Par principe, elle est sans fin. Proust malade et se sachant condamné, son attentive et dévouée gouvernante Céleste à ses côtés, lutte non tant pour survivre quelques jours ou même quelques heures mais pour, une fois encore, ajouter, biffer, corriger son immense chef-d'oeuvre, ce souci interminable.
Après la lecture de l'Atelier noir, journal d'écriture d'Annie Ernaux, Henri Raczymow a eu l'idée de revisiter cette part de son histoire que contiennent et réfléchissent les lettres d'amis, de connaissances, de lecteurs, reçues de 1970 jusqu'à ces dernières années. Ce demi-siècle de correspondance qui a ponctué, accompagné son parcours d'homme et d'écrivain ressuscite une part de sa vie qu'il commente au fil de la relecture.Le passé endormi est ici réveillé à la lumière du présent et compose une sorte de journal que Raczymow rédige sans complaisance.On y retrouve les thèmes chers à l'écrivain: la judéité, l'érudition, l'écriture, les questionnements intimes sur le couple, les enfants.Entre tendresse et humour, Henri Raczymow mène avec élégance sa recherche du temps perdu, sa quête d'un temps retrouvé.
Nous sommes dans les années de l'immédiat après-guerre, dans ce quartier populaire de Belleville où l'on entend encore parler le yiddish. C'est ce lieu et ce temps qu'évoque l'auteur avec, on s'en doute, un rien de nostalgie, mais aussi une immense tendresse à l'égard "des voix chères qui se sont tues", voix des grands-parents, Simon et Mania, venus de Pologne, voix des parents, Étienne et Anna, livrés au chagrin des pertes subies pendant l'Occupation et dans le même temps avides de vivre et de rire. L'auteur ressuscite cette petite communauté par une description minutieuse qui s'attache aux plus infimes détails de la vie quotidienne : nourriture, vêtements, voitures, chansons, publicités radiophoniques... Par sa franchise, sa probité et par le regard singulier qu'il porte sur les siens et ce monde disparu, l'auteur réussit son double pari : inscrire sa vie "dans la mémoire d'une autre" et, nous l'ayant donnée en partage, être compris à son tour, "comme une figure de géométrie en comprend une autre".
'Elle s'appelle Léna, elle me tend une main franche, spontanée, déterminée. Et en même temps délicate.
- Moi, c'est Richard. Dick en anglais, j'ai cru bon d'ajouter. Richard Federman.
- Ah oui? Pourtant, on ne dit pas Dick Coeur de Lion.
La remarque est pertinente, sans conteste.'
Richard Federman, étudiant, traverse Mai 68 à Paris, un peu ahuri, vaguement amoureux, mais de qui? Léna Chevalier? Solange Sarfati? Esther Litvak, sa directrice de thèse? Rosine Dufreynois, à qui il donne des cours de français? À moins que, tel le Frédéric Moreau de Flaubert, Richard ne traverse la Seine, la cour de la Sorbonne, la Révolution, les amours, la vie, sans adhérer, lointain, détaché. Et d'abord de lui-même. Et si résidait là, dans ce trait, son désir d'être un jour écrivain?
Henri Raczymow.
Prix de la biographie du Point 2016
"Un grand esprit, Emmanuel Berl ? Un bel esprit plutôt. Un intellectuel, certes. Mais sans doctrines. Un écrivain ? Il aura écrit de nombreux ouvrages, et parfois de vrais bijoux littéraires. Mais une oeuvre ? Berl est un écrivain sans oeuvre. Un dilettante, un dandy de l'esprit. Sa vive intelligence, reconnue de tous ? Mais au service de quoi ? De rien d'assignable. Qu'est-ce qui, chez Berl, expliquerait cette constante négativité envers l'existence, la pensée, le souci d'une oeuvre - et envers sa propre personne ? C'est à quoi cet essai tente de répondre."
Henri Raczymow
«Je n'ai pas connu, et pour cause, Heinz Dawidowicz, mon jeune oncle, mort en déportation à l'âge de dix-neuf ans. Ma mère m'en a très peu parlé. Ce qui est certain, en revanche, c'est que son absence m'a constitué. Si bien que le vrai sujet de ce livre est moins l'évocation d'Heinz que l'ombre portée de sa vie et de sa mort. Son absence, je devais l'inscrire noir sur blanc, tenter cette archéologie impossible.»
Henri Raczymow.
Né à Paris en 1906 dans une famille loufoque, non-conformiste et peu scrupuleuse, Maurice Sachs eut une vie sulfureuse, aujourd'hui encore entachée d'opprobre. C'est qu'il a mal fini : bien que juif et homosexuel, il achève sa « carrière » dans la Gestapo de Hambourg. Il n'avait pas 39 ans. À sa naissance, son père, Herbert Ettinghausen, s'éclipse rapidement et sa mère, Andrée Sachs, qui vit d'expédients, ne tarde pas à l'abandonner dans un internat de style anglais où Maurice découvre tout à la fois sa judéité, son homosexualité, son goût du vol et son amour de la littérature.
Ce Cahier de l'Herne qui lui est consacré ne vise pas on ne sait quelle réhabilitation. On ne le sauve ni ne l'accable. Ce Cahier a la seule ambition de faire le point - sans rien omettre - sur cet écrivain qui fut un témoin essentiel de la vie artistique et littéraire du Paris de l'entre-deux guerres, l'ami entre autres de Cocteau, qui le fascine, de Jacques et Raïssa Maritain, de Max Jacob, de Gide, de Violette Leduc, et l'auteur d'au moins deux livres majeurs : Le Sabbat et La Chasse à courre, parus tous les deux après la guerre, de façon posthume. Maurice Sachs, personnage combien troublé, hante aussi toute l'oeuvre de Patrick Modiano. Il se fera abattre en avril 1945 sur une route d'Allemagne.
« Deux êtres chers, coup sur coup, un jour m'ont quitté. Anna ma mère, puis son fils adoré, Alain, mon frère cadet. Étienne, mon père, s'est heureusement aussitôt remis en ménage. C'est ce qu'il avait de mieux à faire.
Mon « ménage » à moi, au contraire, a connu le même sort que le Titanic. La vie me rendait à moi-même. Mais « moi-même » n'avait plus guère de sens. La vie me rendait à rien. La mer (la mère) me rejetait sur un rivage sans âme, une espèce de monde lunaire. Il ne me restait plus, c'était inévitable, qu'à rencontrer un amour impossible. Ce fut Lilah. Qui aimait ailleurs. J'étais désemparé, je fus mélancolique.
Que faire ? Écrire un livre. Un réflexe, sans doute. Chaque phrase, alors, repoussait à plus tard le dernier mot. Le fin mot de l'histoire. Le plus loin, le plus tard possible. »
Henri Raczymow
Et si derrière la détestable Mme Lepic, mère de Poil de Carotte, se jouait un autre drame que Jules Renard se garde de mettre au jour ? Quels sont les rapports de Proust à la judéité, tels qu'ils se déploient dans son oeuvre à travers les personnages de Swann et de Bloch ? Quel personnage peu ragoûtant se cache derrière l'élégant Paul Morand ? Pourquoi et comment le mauvais sujet que fut Maurice Sachs parvient-il à ne pas devenir le grand écrivain qu'il rêvait d'être ? Enfin, pourquoi le professeur Wanley, héros de la Femme au portrait de Fritz Lang, pris entre désir et interdit, devient-il un meurtrier ? Telles sont les questions auxquelles cet ouvrage tente de répondre. Sans s'encombrer de théorie, mais en suivant pas à pas des intuitions de lecteur attentif.
L'âge classique voit la naissance de l'écrivain et l'époque romantique son sacre : avec l'âge démocratique - où nous sommes aujourd'hui en Occident - c'est, avance Henri Raczymow, le constat de sa mort qu'il faut dresser, entraînant avec elle la fin de la littérature dans sa dimension de sacralité, de transcendance. Si la littérature fut bien le substitut laïcisé de la religion, quelle a été la généalogie de cette forme de croyance et de ses pratiques ? Peut-on retracer les prodromes de sa disparition ? Car il semble que nous soyons radicalement coupés du temps - pourtant assez proche (que l'on songe à Gide ou Sartre) - où le terme grand écrivain avait un sens ailleurs que dans les seuls manuels scolaires. Ce n'est pas l'absence d'écrivains contemporains importants que déplore ici Henri Raczymow, mais la disparition d'instances crédibles de légitimation - celles que furent, par le passé, le roi pour Racine, la nation pour Voltaire, le peuple pour Hugo ou Zola, l'opinion publique pour Sartre. Restent le public, plus passif qu'actif, et la noria des notoriétés. Si cette évolution de la littérature est liée au processus démocratique, que devient-elle lorsque ce processus semble être arrivé à son terme ?