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Ananda Devi
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De quelle obscure impulsion ce texte, qui m'a hantée pendant de longs mois, s'est-il nourri ? Tout ce que je sais, c'est que j'ai été emportée, engloutie par le siècle d'histoire qui a traversé cette prison de Lyon, la prison de Montluc. Jean Moulin, Raymond Samuel, dit Aubrac, René Leynaud, André Devigny, les enfants d'Izieu y ont tous été emprisonnés. Puis de nombreux condamnés à mort algériens. Klaus Barbie, lui, y est incarcéré avant son procès en 1983. Ce n'est qu'en 2009 que l'aile des femmes, la dernière en activité, est définitivement fermée, en même temps que la prison.
Toute la complexité de l'histoire semble s'être concentrée en un seul point, mais ses tentacules s'étendent bien plus loin. J'ai essayé de les suivre, de les démêler. De les pénétrer au cours d'une nuit blanche où je pensais aller à la rencontre des esprits de tant de résistants, et où j'ai fini par me rendre compte que le fantôme, en ces lieux, c'était moi. -
Dans une ville pauvre de l'Inde, les prostituées travaillent dans le quartier de La Ruelle. Parmi elles, Veena et sa fille de dix ans, Chinti, délaissée par sa mère. Les autres femmes protègent la fillette, dont Sadhana, une hijra, femme rejetée par la société pour être née dans un corps d'homme. Leurs destins basculent le jour où Shivnath, un homme de Dieu corrompu, jette son dévolu sur Chinti et la kidnappe. Il ne se doute pas que les femmes de la Ruelle sont sur ses traces.
Des bas-fonds du pays à sa capitale spirituelle, Ananda Devi nous entraîne dans un roman qui fouille les questions de notre temps : le règne des hommes et la sororité ; les folies de la foi ; la pédophilie ; la colère et l'amour. Avec son style tranchant et poétique, elle brise le silence des dieux pour faire entendre et résonner le cri de révolte des femmes - le rire des déesses.
Chez Ananda Devi, les corps font l'épreuve des lois qui régissent le monde. Un roman qui frappe tel un bloc de révolte imperturbable. Le Monde des livres. -
« Mon innocence était incongrue dans le coeur noir de Port-Louis. Mais Port-Louis même, dans cette lueur, devenait vasque de rédemption. » Ce tout premier roman d'Ananda Devi, publié pour la première fois en 1988, nous emmène dans la capitale de l'île Maurice, au quartier de Dockers Flats précisément, où vit Paule. Dans « cette termitière grouillante d'hommes, de femmes, et d'enfants », erre cette jeune femme, indésirée à qui les parents confièrent le prénom d'un homme. Rue la Poudrière est « un cri du visage, cri du ventre, cri de la matrice ». Quand l'avenir est conditionné, contrarié par la promiscuité des hommes dans les couches sociales défavorisées, comment s'arracher de cette basse-fosse ? Rue la Poudrière est le récit de cette quête.
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Une île : Maurice, la narratrice du roman. Quatre personnages : un oncle las de la vie, sa nièce, unique lumière pour lui, une femme qui vient de quitter son mari, un chef de bande assoiffé de vengeance.
Une journée où tout va exploser : la cité, les haines, peut-être l'île. Enfin, d'étranges animaux qui attendent patiemment que les humains finissent de détruire ce qui leur reste - leur humanité, leur foyer - pour vivre seuls, en paix : les caméléons. Unité de lieu, de temps, d'action. Le compte à rebours est lancé, le drame peut commencer.
Mais reprenons. Le roman s'ouvre, la ville est à feu et à sang. Zigzig, le caïd meneur, tient dans ses bras une fillette ensanglantée. Les plus pauvres viennent de s'attaquer aux plus riches dans le centre névralgique de l'île : le shopping center, désormais en ruines. Au loin, un volcan gronde. Comment en sommes-nous arrivés là ? Quelques heures plus tôt, Zigzig partait avec les siens attaquer ses rivaux tandis que Sara regardait danser une femme libérée sur une plage abandonnée. L'île rembobine et nous raconte. On suivra tour à tour chacun des personnages jusqu'à ce que leur destin se mêle. On remontera aussi le cours de l'Histoire pour comprendre comment les peuples, les servitudes et les logiques du monde moderne ont saccagé cette terre de merveilles et divisé ses habitants.
Avec sa langue tour à tour tendre et ironique, tranchante et poétique, Ananda Devi nous emporte dans un roman impossible à lâcher pour nous plonger dans le chaos des hommes. Le destin est en marche. Mais dans cette histoire-là, ceux qu'on croit les plus féroces seront peut-être les seuls héros. -
"Au fond du couloir, une jeune femme marche comme si elle dansait, encore sous l'effet des somnifères qu'elle a avalés, elle marche en déséquilibre sur sa propre vie, elle ne se rend pas compte qu'elle ne tient pas sur la mince ligne droite qu'elle s'est tracée mais elle avance quand même, elle avance en dansant sur ses pierres, sur ses cailloux, sur ses rochers, le coeur entaillé, la bouche boursoufflée, l'ombre désarrimée, elle avance quand même avec son nez rougi de larmes, ses hanches tanguantes, ses yeux noyés, une bouteille de coca à la main, ne sachant quoi en faire jusqu'à ce qu'une infirmière vienne la lui prendre de peur qu'elle ne se casse, qu'une autre infirmière l'emmène au lit de peur qu'elle ne se casse."
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« Celui qu'on dit monstre est l'expression la plus achevée de l'espèce.
Celui que l'on dit monstre est terrifiant de beauté plutôt que d'être terrifiant tout court parce qu'il décèle avec une finesse inhumaine les failles des autres et les élargit et les aggrave, et il devient ainsi cet idéal de sombre masculinité que les mythologies prêtent aux dieux et aux démons. Quelle merveilleuse sensation que de plier une créature à sa volonté ! » Dans une maison sur l'île Maurice, un vieux médecin à l'agonie est veillé par sa fille et par sa petite-fille.
Entre elles et lui se tisse un dialogue d'une violence extrême, où affleurent progressivement des éléments du passé, des souvenirs, des reproches, et surtout la figure mystérieuse de la mère de Kitty, l'épouse du « Dokter-Dieu », qui a disparu dans des circonstances terribles. Elles ne le laisseront pas partir en paix.
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Une adolescente, née obèse, vit recluse dans sa chambre. Le regard des autres et le harcèlement dont elle est victime ont eu raison de sa scolarité. Sa mère l'a abandonnée, incapable de faire face à son appétit monstrueux. Son père, convaincu qu'elle a dévoré sa soeur jumelle in utero, cuisine jour et nuit pour « ses filles ». Par le plus grand des hasards, elle rencontre l'amour. Mais la société du paraître et les réseaux sociaux ne sauraient tolérer un tel écart...
Fable rabelaisienne, Manger l'autre décrit sans pitié, mais non sans humour, la tyrannie de la minceur et le retour de la « mise à mort publique ». Un conte cannibale d'une sensualité bouleversante.
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Danser sur tes braises ; six décennies
Ananda Devi
- Bruno Doucey
- L'autre Langue
- 6 Février 2020
- 9782362292750
Deux textes forts et incandescents. Deux textes pour dire la femme, la fille, la mère... Dans le premier, qu'elle dédie à sa propre mère, Ananda Devi évoque l'exil auquel chaque être se trouve confronté : celui du ventre maternel. "Tout commence par la perte des eaux", écrit-elle, avant de nous livrer ce constat amer : "L'enfant s'en va et ne cessera plus de s'en aller." Dès lors, la vie s'apparente à une longue exploration de la perte.
Dans le second, qu'elle intitule Six décennies, c'est à son propre corps qu'elle s'adresse, sans complaisance ni faux-semblants, débusquant ses changements, cartographiant sa géographie incertaine et mouvante. Avec le temps va... Non, pas seulement car le regard de l'autre réinscrit le ravissement dans le sillon des jours. "Le désir n'est jamais dompté."
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Deux malles et une marmite : quel est ce mystère d'écrire ?
Ananda Devi
- Editions Project'Iles
- 25 Septembre 2021
- 9782493036056
Quel est ce mystère d'écrire ? Qu'est-ce qui amène à l'écriture ? Quelle phrase, quel texte, peut marquer un.e auteur.e à ses débuts et pourquoi ? Quand est-ce qu'écrire devient une évidence ? Quelles influences ? Qui sont les auteur.es ou les textes qui ne quittent plus l'écrivain.e ? Dans cette collection des auteur.es s'adressent librement et dans une forme qui leur est propre à quelqu'un qui est plein de doutes, mais qui veut écrire. Confronté parfois à des questions insolubles, il ou elle est en recherche de réponses, de pistes pour franchir le pas. Deux malles et une marmite est un regard tendre et sans concession de la romancière et poétesse Ananda Devi. L'auteure crée un pont, un dialogue entre la jeune femme qu'elle a été et la romancière qu'elle est devenue. Un texte d'une grande générosité offert à ses lecteurs et à tous les passionnés des littératures indianocéanes. Il y a là des clés pour pénétrer une Å«uvre exigeante, riche, bouleversante.
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Deuxième texte publié en coédition avec le musée des Confluences (à Lyon). Ananda Devi a été interpellée par une momie de femme péruvienne. Elle imagine la trajectoire de cette femme qui a beau avoir vécu à l'autre bout du monde il y a des siècles, elle lui semble extrêmement proche. À partir de cet "objet" troublant et terriblement humain, elle réfléchit à sa propre vie, aux impasses qu'elle peut rencontrer dans son écriture, à la condition des femmes en général et au pouvoir de l'art. Un texte bouleversant.
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Ceux du large... Qui Ananda Devi désigne-telle par ce titre ? La réponse nous est suggérée dès les premiers vers du recueil : « Dans des barques de feuilles mortes / Ils portent à bout de fatigue / Les enfants de leur faim », avant d'être assénée comme une gifle dans le dernier poème : « Ceux que la vie éventre / De son coutelas ». Entre ces deux poèmes, elle suit l'errance des réfugiés, de tous ces êtres qui ont fui la terre où ils vivaient pour tenter d'atteindre une autre rive. Malgré la « terreur de l'eau », malgré la mort en embuscade. Et si l'auteure s'est donnée la peine d'écrire ce texte en trois langues - français, anglais, créole - c'est pour se prouver à elle-même qu'elle n'est pas restée « Tête baissée bras ballants » devant « Le film catastrophe » qui se déroule sous nos yeux.
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«Tous ces hommes qui me parlent. Fils, mari, père, amis, écrivains morts et vivants. Une litanie de mots, d'heures effacées et revécues, de bonheurs révolus, de tendresses éclopées. Je suis offerte à la parole des homme. Parce que je suis femme.» Ce récit autobiographique est une méditation sur l'existence, l'écriture, l'amour et la maternité, l'éducation, la solitude. Ananda Devi y évoque des souvenirs d'enfance, ses débuts en écriture, l'emprise de ces êtres dont l'amour, parfois, peut être une tyrannie. Alors vient l'envie de ne plus écouter ces hommes qui la musellent depuis si longtemps et de partir en brisant tout, comme le font souvent les personnages féminins de ses romans. «Toutes les femmes de mes livres me l'ont dit : affranchis-toi. C'était le message que je m'adressais. Et je ne m'écoutais pas.» Ananda Devi donne là un texte touchant, sincère, d'une violence saisissante.
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Quand la nuit consent à me parler
Ananda Devi
- Bruno Doucey
- Embrasures
- 22 Septembre 2011
- 9782362290183
Avec les poèmes et les proses qui composent Quand la nuit consent à me parler, Ananda Devi nous confie son second recueil de poèmes, retrouvant ce lyrisme de la « chair nue » que donnait à lire Le long désir (Gallimard, 2003). Les mots explorent le secret et l'intime, se glissent dans les replis de la chair et de l'âme, sèment le doute et récoltent l'émotion, provoquent les frissons qu'ils suggèrent. Et cela même lorsqu'ils évoquent la vie broyée d'un enfant soldat ou celle d'une jeune prostituée. Entre douceur et incandescence, désir et solitude, sans faire la moindre concession à « la poétique des îles », l'auteur du Sari vert (Gallimard, 2009) livre une écriture au féminin, âpre, sensuelle et violente.
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Le portrait mélancolique et ironique d'un ambassadeur d'un pays nordique à New Delhi, désoeuvré et seul ; une romancière occidentale s'attache à un petit mendiant indien sale et pustuleux ; les maladresses de trois riches Américaines parties en Inde se consacrer à la charité ; la solitude d'une femme de maharadja ; les mésaventures d'un écrivain mauricien couvert de ridicule par une journaliste indienne ; la mère d'un nourrisson monstrueux ; une femme qui ne donne naissance qu'à des garçons perd sa fille unique ; un homme qui travaille dans une usine de traitement des bébés phoques ne peut se débarrasser de leur odeur obsédante.On retrouve dans ce recueil de onze nouvelles les grandes thématiques d'Ananda Devi : la place des femmes dans la société, la critique du regard occidental sur l'Inde, le fantasme du pourrissement des corps, la présence du fantastique dans le quotidien, le choc entre tradition et modernité. Ananda Devi développe dans chacun de ces récits des univers violents et sensuels, très réussis. Chaque nouvelle est nette, superbement menée, empreinte d'une ironie féroce et troublante.
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«On pouvait l'aimer, cette ville, et en mourir.
Aimer ses étoiles absentes et son ciel de ciment.» À Portobello Road, une vieille femme, Mary Grimes, s'accroche à ses dernières certitudes et au souvenir de Howard, son amour de jeunesse depuis longtemps disparu. Le monde qu'elle devine derrière ses portes closes ne lui appartient plus : elle fait désormais partie des invisibles. Une rencontre avec Cub, un jeune garçon de Brixton, provoque en elle une renaissance inattendue. Avec Cub, Mary est entraînée dans le tourbillon des jours vivants.
Ananda Devi poursuit son exploration des lieux mythiques et des êtres hantés. À la lisière du fantastique, Les jours vivants nous fait voir Londres comme un lieu à la fois délétère et miraculeux, dans une lumière de fin des temps.
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On le dit monstre, on le dit mythe. On le dit légende sortie
des sources volcaniques de l'île, esprit mauvais hantant
les cavernes de roche. On l'appelle le pêcheur nu, l'homme
anguille. Joséphin le fou. Il est tout cela. Il est aussi l'enfant perdu que seule la mer accueille, et qui apprend, avec ses créatures, la cruauté minérale des grands fonds. Il est celui qui tente de capturer, dans le regard de deux petites filles, la goutte de paradis qui y tremble. Il est celui qui détruit par innocence meurtrière. Il est, tout simplement, Joséphin. -
" n'oubliez pas mon île.
Fétu de canne au duvet rose, vêtue de sucre et de jasmin, n'oubliez pas son visage d'enfant puni derrière les esprits clos, ses mains meurtries au bris du jour. ses pieds coincés dans les failles de son passé. " " tu es une effraction dans l'absence de mes nuits. approche. tends ton envie. que je l'enroule autour de mes lèvres en un jus amer et putrescible. tes yeux me songent et m'évertuent, me dégringolent d'impatience.
Au bout, chute, cassure, fractures et contusions, hématomes comblés de nos corps, je m'en fous. je suis celle que tu rouages.
" les serments se délitent. c'est l'instant du froid martyr. toi tu ne l'entends pas. je suis écarquillée de désirs. perçois-tu autre chose ? " ainsi ananda devi nous raconte-t-elle une histoire sensuelle, obsédante, cruelle : celle d'un lieu et d'un corps.
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"Mon nom est la Gungi, la lunaire ou Aeena, qu'importe. Je serai tour à tour muette ou miroir, selon le temps qui se décompose et se recompose autour de moi, selon les êtres qui me heurtent, me meutrissent ou m'apaisent, selon les vies que je retrouve en cherchant, dans mon passé, les clés du présent. Car je suis née fille de swami, et marquée du karma du parricide. Mais qui étais-je donc, dans cette vie que je n'ai pas vécue et pourquoi ai-je tué ?
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L'auteur nous expose au pouvoir du langage et de l'imaginaire dans ces trois nouvelles capables de réunir l'horreur et l'enchantement de notre monde dans un même étrange lit.
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«Je suis Sadiq. Tout le monde m'appelle Sad. Entre tristesse et cruauté, la ligne est mince. Ève est ma raison, mais elle prétend ne pas le savoir. Quand elle me croise, son regard me traverse sans s'arrêter. Je disparais. Je suis dans un lieu gris. Ou plutôt brun jaunâtre, qui mérite bien son nom : Troumaron. Troumaron, c'est une sorte d'entonnoir ; le dernier goulet où viennent se déverser les eaux usées de tout un pays. Ici, on recase les réfugiés des cyclones, ceux qui n'ont pas trouvé à se loger après une tempête tropicale et qui, deux ou cinq ou dix ou vingt ans après, ont toujours les orteils à l'eau et les yeux pâles de pluie.» Par Sad, Ève, Savita, Clélio, ces ados aux destins cabossés pris au piège d'un crime odieux, et grâce à son écriture à la violence contenue au service d'un suspense tout de finesse, Ananda Devi nous dit l'autre île Maurice du XXI? siècle, celle que n'ignorent pas seulement les dépliants touristiques.
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«Elle s'est tournée pour partir sans même me voir, rentrée en elle-même, inatteignable. Elle a resserré le pan de son sari sur ses épaules. Sous la finesse du tissu, l'échancrure de la blouse laisse entrevoir une poitrine abondante. Peut-être n'est-elle même pas consciente de son attrait? Peut-être n'y-a-t-il eu personne pour le lui apprendre et réveiller en elle quelque orgueil endormi, quelque secrète vanité? J'ai perçu en elle la promesse d'une musique qui n'avait pas encore été jouée et qui, même désaccordée, contiendrait sa secrète harmonie. Suffirait-il de jouer en virtuose de l'instrument pour l'allumer de lumières et de couleurs nouvelles et franchir ses ténèbres?» Avril 2004, New Delhi. L'Inde est en pleine campagne électorale. Sonia Gandhi - l'Italienne, l'étrangère - deviendra-t-elle le prochain Premier ministre?... Mais pour Subhadra, cinquante-deux ans, grande, plutôt ronde, une femme ordinaire, la préoccupation est autre:ira-t-elle à ce pèlerinage de renoncement des femmes ménopausées que lui propose sa belle-mère pour marquer la fin de sa féminité? Ou cédera-t-elle au contraire à la mystérieuse séduction de l'autre qui la suit depuis un mois dans les rues de Delhi? Un étrange pas de deux, chassé-croisé amoureux qui lui offre une chose que personne ne lui a jamais offerte:son propre corps...