«La scène est au Pirée. Attablés dans la maison du vieux Céphale, Socrate et quelques amis entreprennent de discuter des récompenses promises au juste dans l'au-delà. Qui peut le mieux cerner l'essence de la justice? La sagesse traditionnelle, les mythes anciens semblent impuissants et Socrate a vite raison des prétentions du sophiste Thrasymaque.
Ils sont allongés sur des lits et parlent de l'Amour et de la Beauté. Leurs discours se succèdent, parfois se répondent : car il y a plusieurs Amours et plusieurs manières de désirer le Beau. À ces hommes vivant en un temps et un lieu où l'éducation des garçons est indissociable de la sexualité qui règle les rapports du maître et du disciple, une étrangère, Diotime, oppose un modèle féminin de la procréation du savoir. À travers elle, Socrate dessine les étapes de l'apprentissage du philosophe capable de se détacher du monde sensible pour devenir l'«amant» par excellence qui guide l'«aimé» dans sa quête du Vrai et du Beau. Par-delà les interprétations prudentes du Banquet que nous a léguées la tradition philosophique, cette traduction invite à une lecture renouvelée du dialogue : un Banquet parfois extravagant, à l'image de son objet, d'une richesse stylistique exubérante, souvent cru dans son langage, foisonnant enfin dans sa recherche du bonheur véritable.
Le ton du Gorgias est particulièrement violent, et pas seulement à l'égard de la rhétorique. Le dialogue formule une des critiques les plus radicales qui aient été adressées à la démocratie athénienne, à ses valeurs dominantes et à sa politique de prestige. En effet, Socrate s'en prend à tous les aspects de cette politique, du plus concret au plus idéologique. Mais l'essentiel de la critique vise la condition qui donne à la démocratie athénienne ses principaux caractères.
Or cette condition est la même que celle qui assurait l'influence de la rhétorique. Il s'agit de la foule comme sujet dominant de la scène politique. Le gouvernement de la liberté est un gouvernement de la foule, c'est-à-dire de l'illusion, du faux-semblant et de la séduction. La critique de la rhétorique débouche donc directement sur la critique de la démocratie.
Dans ce texte de jeunesse ("Lysis"), Platon présente l'amitié comme une forme de possession, un attachement à ce qui est nôtre, capable de nous manquer et d'être par là objet de quête et de désir. Cette pensée si singulière de l'amitié apparaît d'autant mieux qu'on la replace dans l'oeuvre, la vie et la réflexion du grand philosophe athénien, matière de la "Vie de Platon" par Diogène Laërce.
Athènes, 399 avant notre ère. Socrate, citoyen sans fortune ni pouvoir politique, comparaît devant le Tribunal de la cité. Quels sont les faits reprochés ? On l'accuse de ne pas reconnaître l'existence des dieux traditionnels, d'introduire de nouvelles divinités et de corrompre la jeunesse. Face à ses juges, Socrate assure seul sa défense et met en garde les Athéniens : le philosophe est un bienfait pour la cité et celle-ci se condamne elle-même en mettant à mort son héros. Mais le verdict est sans appel : la condamnation à mort. Élevée au rang de mythe fondateur de la philosophie, l'Apologie de Socrate expose les exigences d'une vie vertueuse telle que la défend Socrate : amour du savoir, souci du vrai, recherche de l'acte et du mot justes.Dossier : 1. Le philosophe au banc des accusés2. La place du philosophe dans la cité
En 399 avant notre ère, à Athènes, Socrate comparaît devant le Tribunal de la cité. Accusé de ne pas reconnaître l'existence des dieux traditionnels, de créer de nouvelles divinités et de corrompre la jeunesse, il est condamné à mort. De son procès, il nous reste peu de témoignages,mais celui que Platon nous livre dans l'Apologie de Socrate élève au rang de mythe fondateur de la philosophie un fait qui aurait pu demeurer banal au regard de l'histoire.Face à ses juges, Socrate mène sa défense en invoquant la pratique de la philosophie, qui seule fait que la vie vaut d'être vécue.Plus tard, dans la prison où il attend son exécution, Socrate oppose à son ami Criton, qui lui propose de fuir, le verdict du philosophe : mieux vaut affronter la mort que contrevenir aux lois de la cité et ainsi commettre l'injustice. Si l'on en croit Platon, il fallait que Socrate meure pour que vive la philosophie.
Abrégé de la pensée d'Épictète légué par son disciple Arrien, le Manuel - c'est-à-dire l'enkheiridion, le poignard que l'on a sous la main pour affronter toute éventualité - est voué à l'efficacité éthique. Il est bref et incisif par nécessité. Il ne s'adresse pas au sage, qui n'en a pas besoin, mais à ceux qui, parmi les non-sages, sont en progrès et s'exercent à la sagesse. Cahier d'exercices pour l'éducation philosophique, il donne non seulement les signes du progrès, mais aussi les ultimes conseils, et les marques qui pourront montrer que le pas décisif vers la philosophie aura été franchi. Ces signes, ces conseils et ces marques, le destinataire du Manuel doit les emporter avec lui, pour construire une oeuvre qui, s'appuyant sur les livres, est hors des livres, et ne peut être aidée par personne, sinon par le dieu qui est en lui.
La vie n'est pas trop courte, c'est nous qui la perdons. Voilà le message que nous adresse Sénèque, dont la sagesse résonne profondément dans nos existences.Par l'évaluation de ce qu'est une vie vraiment vécue, le penseur antique débusque toutes sortes de futilités qui nous accaparent sans bénéfice. Il dessine ainsi un chemin pour vivre raisonnablement heureux.Traduit du latin par Xavier Bordes
« Vieillir est une chance. Vieillir est un avantage. Vieillir est un destin dépendant aussi de son attitude de vie devant l'existant.» Ainsi s'ouvre la préface que Laure Adler donne à l'Éloge de la vieillesse, un court texte philosophique de Cicéron, d'un ton résolument optimiste. De ce guide universel découle une leçon de vie d'une puissance sereine, pour affronter la peur de vieillir et enseigner « la joie de mourir », une « allégresse à tenir la mort en respect et à savoir l'apprivoiser ».
Dans ce dialogue empli de sagesse, Caton est désigné comme l'avocat de la vieillesse contre quatre chefs d'accusation : elle empêcherait de briller dans la vie publique, affaiblirait le corps, interdirait les plaisirs et ferait sentir l'approche de la mort. Pour Caton au contraire, la vieillesse est l'âge le plus propice aux oeuvres accomplies de l'esprit, le corps étant délivré de la servitude des sens. Elle prépare l'âme à la libération totale procurée par la mort. Caton suggère une attitude exemplaire et loue l'expérience. Celui qui n'attend que de lui-même n'a rien à craindre des lois de la nature : «La faiblesse convient à l'enfance ; la fierté à la jeunesse ; la gravité à l'âge mûr ; la maturité à la vieillesse : ce sont autant de fruits naturels qu'il faut cueillir avec le temps.
Qu'est-ce que la philosophie antique ?
À cette question, la tradition universitaire répond par une histoire des doctrines et des systèmes - réponse d'ailleurs très tôt induite par la volonté du christianisme de s'arroger la sagesse comme l'ascèse.
À cette question, Pierre Hadot apporte une réponse tout à fait nouvelle : depuis Socrate et Platon, peut-être même depuis les présocratiques, jusqu'au début du christianisme, la philosophie procède toujours d'un choix initial pour un mode de vie, d'une vision globale de l'univers, d'une décision volontaire de vivre le monde avec d'autres, en communauté ou en école. De cette conversion de l'individu découle le discours philosophique qui dira l'option d'existence comme la représentation du monde.
La philosophie antique n'est donc pas un système, elle est un exercice préparatoire à la sagesse, elle est un exercice spirituel.
La sagesse épicurienne est devenue tellement célèbre que le mot épicurisme est, de nos jours un nom commun plus que celui d'une doctrine. Et cela - on le sait - au prix de nombreux contre-sens qui défigurent cette philosophie, autant en y cherchant une provocation à la débauche ou au libertinage qu'en en faisant une école d'ascétisme. En proposant une nouvelle traduction de quelques uns des écrits les plus fondamentaux d'Épicure, il s'agit de revenir au coeur de cette doctrine, à la fois oubliée, recouverte, mais vivante, à travers un dialogue avec les illustrations. Il s'agit de lui donner, ou de lui redonner, la présentation qui convient à une sagesse : accessible à tous, proche et utile, tenant en un format resserré et permettant de garder toujours auprès de soi ce précieux ouvrage, comme une sorte de bréviaire.
Vivre en accord avec le destin, se défaire du superflu, adopter une attitude digne face à la mort et garder, en toutes circonstances, la tranquillité de l'âme : telles sont les leçons que Sénèque enseigne à son disciple Lucilius au fil de cette correspondance pédagogique. Manuel pratique à l'usage de l'apprenti stoïcien, les Lettres à Lucilius (1er siècle apr. J.-C.) nous exhortent de changer nos habitudes afin de nous changer nous-mêmes, et d'apprendre à mourir - pour essayer de vivre.
Le Phédon raconte une mort, celle de Socrate. Mais le récit de ces adieux singuliers est occasion de tenir un discours différent sur la mort. Car Socrate meurt après avoir parlé, après avoir arraché à la mort son «masque» effrayant de sorcière, et en pariant sur l'immortalité de nos âmes.
Avec lui, la mort fait une entrée remarquée dans la philosophie : la mort et la philosophie se livrent au même travail de Pénélope, défaisant ce que la vie a tissé et délivrant l'âme de son oubli d'elle-même.
Il est impossible de lire ce dialogue-là tout à fait comme on en lirait un autre. Platon, qui n'assistait ni à ce dernier entretien ni à ces derniers instants, les élève à une vérité plus haute que toute exactitude historique. Et Socrate qui, «demain», ne sera plus là, est présent comme il ne l'a jamais été.
Platon inaugure, par l'intermédiaire de Socrate, ce geste intellectuel primordial : s'interroger, sans préjugés, sur ce qui fait que la vie de l'homme et de la cité vaut d'être vécue. C'est pourquoi nous n'avons pas cessé d'être les contemporains de Socrate qui, dans les rues d'Athènes et sur la place publique, discutait avec ceux qui l'entouraient de ce qui fait la valeur d'une vie humaine, de ce qui motive telle ou telle action individuelle ou civique, des buts que poursuivent l'individu et la cité.Cette édition comprend la totalité des dialogues de Platon, ainsi que la traduction inédite des oeuvres douteuses et apocryphes. Elle comporte en outre une introduction générale, des notices de présentation pour chaque dialogue, des annexes, un index des noms propres et des notions, et un répertoire des citations, qui permettent à tous, néophytes ou familiers, de redécouvrir Platon.Nouvelle édition revue et corrigée.
Si j'ai désiré, après tant d'autres, traduire en français La République, c'est d'abord pour avoir pensé qu'il était possible de faire mieux que ce qui avait été fait avant moi : de se tenir plus près du texte grec, de l'articulation de ses phrases, de son économie dans le choix des mots, de sa souplesse, de la variété des tons qu'il prête aux participants du dialogue que rapporte Socrate ; mais c'est aussi, et peut-être surtout, par désir de m'approcher le plus possible de ce texte, l'un des plus beaux du patrimoine littéraire, en me soumettant à la nécessité de le lire et relire, puis d'écrire des mots, des expressions, des phrases dignes de le représenter, de se substituer à lui.Il s'agissait seulement de traduire, non de commenter. J'ai voulu faire lire ce dialogue, en considérant qu'il s'adressait au public le plus large, qu'il n'était pas d'abord une oeuvre de philosophie, puisque justement la philosophie, dans ce texte, doit faire valoir son utilité, se distinguer de ses contrefaçons ou de ses formes dégradées, chercher sa définition, mais que c'était un livre par lequel un esprit exceptionnel a cherché à capter l'attention, à stimuler l'imagination, à faire penser. Faire penser qui ? Un lecteur indéterminé, et non un philosophe professionnel.
La tradition nous a légué treize lettres de Platon. La Lettre VII, l'une des seule à être jugée authentique, occupe l'essentiel de sa correspondance. C'est l'un des rares textes où le philosophe s'exprime à la première personne, et évoque sa doctrine philosophique, largement transmise à l'oral. Cette lettre, adressée aux proches de son disciple et ami Dion de Syracuse, mort assassiné, est le texte d'un homme âgé, qui laisse place à la colère et à la confusion. Entre récit, justification et blâme, le philosophe revient sur ses ambitions et ses échecs, en particulier dans sa mission de conseiller du roi. Tour à tour penseur, coach et gourou, Platon délivre ici une philosophie du quotidien, loin de la pensée rationnelle à laquelle on associe le platonisme.
Depuis l'époque de la philosophie grecque classique, Héraclite a été considéré comme un philosophe de la nature, mais on ne comprend sa pensée que lorsqu'on s'aperçoit qu'elle porte sur le sujet. Ce bref ouvrage démontre que les rares propos qu'on a de lui permettent de la reconstituer et qu'elle est d'un grand intérêt, ce d'autant plus que l'incompréhension dont elle a été l'objet est à l'origine d'une tradition intellectuelle qui a été dominante tout au long de l'histoire occidentale et l'est encore. Héraclite prouve qu'une véritable connaissance du sujet humain était possible de son temps et qu'elle l'est donc aujourd'hui. Héraclite, le sujet comporte une retraduction de tous les propos essentiels d'Héraclite.
"Le stoïcisme, dans sa version romaine, était une expérimentation qui durait toute une vie. Pour Marc Aurèle, la philosophie était plus qu'une activité collatérale ; elle était une consolation, comme l'écrira plus tard Boèce, ou bien une thérapie, comme on l'appellerait aujourd'hui. Marc Aurèle était un bon empereur et un homme solitaire. Il a été le premier à faire cadrer le bien commun avec le malheur individuel et c'est peut-être ce que sont vraiment les "Pensées" : un post-scriptum à la "République" de Platon." (Joseph Brodsky, 1994)
Le Lachès et l'Euthyphron sont l'un et l'autre des dialogues dits «de jeunesse» que Platon écrivit entre 399 (date de la mort de Socrate) et 388 (date du premier voyage de Platon en Sicile). Ils partagent aussi une même exigence de méthode : si le Lachès s'intéresse à l'éducation et à la nature du courage et si l'Euthyphron cherche à déterminer l'essence de la piété, ils témoignent ensemble du souci socratique de parvenir à une définition universelle dans les matières éthiques ; illustrations remarquables de la dialectique réfutative de Socrate, ils ne parviennent ni l'un ni l'autre à définir la vertu qui leur est échue. Mais cet échec apparent est pour le lecteur une invitation à la vigilance.
Porphyre de Tyr, philosophe né au III? siècle de notre ère, éditeur et commentateur de Plotin, écrit la Lettre à Marcella alors qu'il quitte sa femme pour un long voyage après seulement quelques mois de vie commune. Son texte est autant une consolation qu'une suite de conseils philosophiques et moraux, destinés à tous ceux qui, comme Marcella, veulent défendre la philosophie comme source de bonheur et d'élévation. La Vie de Pythagore, une biographie qui relève de la rhétorique de l'éloge, se veut quant à elle un manuel de vie dont les leçons portent sur le rapport à la cité humaine, aux autres êtres vivants, au monde et au divin en général. Chacun à leur manière, ces deux textes dessinent un idéal de vie heureuse tel que pouvait l'entendre la philosophie néoplatonicienne. Devenir vertueux, c'est se détacher du monde et cheminer vers sa véritable demeure, l'intellect divin.
Petit guide de philosophie pratique, le Manuel est destiné à quiconque souhaite progresser sur la voie de la sagesse. Selon Épictète, nous devons distinguer ce qui est en notre pouvoir de ce qui ne l'est pas. Ainsi, nous ne maîtrisons pas le cours des événements, mais nous sommes entièrement responsables de la façon dont nous y réagissons. Tempérer nos désirs, vivre en accord avec la Nature, comprendre le monde et le rôle que nous y jouons : tels sont les préceptes que nous exhorte à suivre Épictète, afin de connaître bonheur et vertu.
"Le livre fondamental de la physique occidentale" , disait Heidegger à propos de la Physique d'Aristote. Peu d'ouvrages, il est vrai, auront aussi profondément et aussi durablement marqué nos façons de penser et, sur un point au moins, Heidegger a raison : la nature aristotélicienne, dans son opposition à la surnature, à l'art et à l'histoire, est bien toujours notre nature. En prenant pour objet l'étude du changement, la Physique livre, à l'ombre des débats métaphysiques qui la sous-tendent, des analyses qui ont nourri le débat scientifique - y compris par leurs erreurs, leurs lacunes et leurs insuffisances - et qui comptent parmi les plus fécondes de l'histoire de la philosophie.