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Seuil
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La vie, c'est risquer : Itinéraire d'un médecin écrivain
Martin Winckler
- Seuil
- 26 Avril 2024
- 9782021499957
Comme le souligne si justement Baptiste Baulieu, « Martin Winckler a montré à toute une génération de soignant·es qu'une autre médecine était possible. Plus humaine. Plus décentrée. Il a changé pour toujours et pour beaucoup l'idée de la relation soignant·e-soigné·e. »
Que ce soit dans sa pratique médicale ou dans ses livres, Martin Winckler n'a de cesse de défendre le respect et l'autonomie de l'individu. Dès ses études, il milite pour l'IVG et l'assistance médicale à mourir et devient rapidement le médecin allié des femmes.
Son plaisir d'écrire n'a pas de frontière : romans, nouvelles, polars, science-fiction, récits autobiographiques, lettres, essais ou encore manuels pratiques... Ses livres abordent souvent cette relation soignant·e-soigné·e, dénoncent frontalement les brutalités du corps médical et explorent des possibles bien plus engageants.
En 2009, sa difficulté à se plier aux règles absurdes des institutions le mène au Québec, où ses idées, encore dissidentes en France, trouvent meilleur accueil. Il devient citoyen canadien en 2019.
Au cours de cet entretien, Martin Winckler revient avec un vrai désir de transmission sur son enfance, sa curiosité boulimique, son parcours, ses choix, ses doutes et ses convictions. Une conversation vivifiante avec un esprit libre.
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Publiée à l'occasion du centenaire de la naissance de Roland Barthes, cette édition reproduit à l'identique le livre paru chez Albert Skira, dans la collection « Les sentiers de la création » en 1970.Pourquoi le Japon ? Parce que c'est le pays de l'écriture : de tous les pays que l'auteur a pu connaître, le Japon est celui où il a rencontré le travail du signe le plus proche de ses convictions et de ses fantasmes, ou, si l'on préfère, le plus éloigné des dégoûts, des irritations et des refus que suscite en lui la sémiocratie occidentale. Le signe japonais est fort : admirablement réglé, agencé, affiché, jamais naturalisé ou rationalisé. Le signe japonais est vide : son signifié fuit, point de dieu, de vérité, de morale au fond de ces signifiants qui règnent sans contrepartie. Et surtout, la qualité supérieure de ce signe, la noblesse de son affirmation et la grâce érotique dont il se dessine sont apposées partout, sur les objets et sur les conduites les plus futiles, celles que nous renvoyons ordinairement dans l'insignifiance ou la vulgarité. Le lieu du signe ne sera donc pas cherché ici du côté de ses domaines institutionnels : il ne sera question ni d'art, ni de folklore, ni même de « civilisation » (on n'opposera pas le Japon féodal au Japon technique). Il sera question de la ville, du magasin, du théâtre, de la politesse, des jardins, de la violence ; il sera question de quelques gestes, de quelques nourritures, de quelques poèmes ; il sera question des visages, des yeux et des pinceaux avec quoi tout cela s'écrit mais ne se peint pas.
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Depuis quelques années, la question resurgit avec force : peut-on séparer l'oeuvre de son auteur ? Du Nobel attribué à Peter Handke aux César à Roman Polanski, sans parler du prix Renaudot à Gabriel Matzneff, le débat fait rage. De même, le passé nazi de grands penseurs du XXe siècle, à commencer par Heidegger, trouble notre appréciation de leur legs, tandis que l'inscription d'un Céline ou d'un Maurras au livre des commémorations nationales a suscité une âpre querelle.
Faut-il considérer que la morale des oeuvres est inextricablement liée à celle de leurs auteurs ? Et bannir les oeuvres lorsque leur auteur a fauté ? Loin de l'invective, ce court essai entend mettre en perspective, historique, philosophique et sociologique, cette question, en analysant les prises de position dans ces « affaires ». Mais loin du « tout se vaut », il tranche, offrant à chacun les moyens de cheminer intellectuellement sur un terrain semé d'embûches.
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Compléments à la théorie sexuelle et sur l'amour
Pascal Quignard
- Seuil
- Fiction Et Cie
- 5 Janvier 2024
- 9782021549492
« Naissant, ne parlant pas, sans force, projeté dans les airs, nu, pleurant, surgissant dans l'orée du soleil... » Qu'est-ce que les anciens Romains entendaient par enfance ? Pourquoi, chez les anciens Grecs, le premier des dieux est-il Chaos, avant même le ciel et la nuit ? Qu'est-ce que le sommeil ? Qu'est-ce qu'une énigme ? Que veut dire Tirésias dans sa réponse alambiquée sur l'immense plaisir que ressentent les femmes ? Quelle est l'origine du mot sex ? Qu'est-ce qu'un fantôme ? Une sirène ? La Lorelei ? Psychè ? Hérô ? Comment la vie intra-utérine se prolonge-t-elle dans la vie atmosphérique sans y trouver de fin ? Pourquoi l'expérience humaine serait-elle bornée par le langage alors qu'il lui a fallu l'apprendre ? En quoi son destin serait-il voué à la vie en société ?
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Ce roman se présente comme le journal du maître d'oeuvre qui, au douzième siècle, édifia en Provence l'abbaye du Thoronet, exemple d'architecture cistercienne. Jour après jour, nous voyons ce moine constructeur aux prises avec la faiblesse des hommes et l'inertie des choses, harcelé par les éléments contraires, et plus encore, par ses propres contradictions. La vie d'un chantier médiéval, les problèmes techniques, financiers ou doctrinaux que posait sa bonne marche, les solutions d'une étonnante modernité qui leur furent données apparaissent ici bien peu conformes à ce Moyen-Âge de convention dont l'image encombre souvent nos mémoires.
Cependant, cette vivante chronique de la naissance d'un chef-d'oeuvre, appuyée à la fois sur des recherches historiques originales et sur une longue expérience du métier de bâtisseur, est aussi une réflexion passionnée sur les rapports du beau et du nécessaire, de l'ordre humain et de l'ordre naturel. Et elle est encore une méditation lyrique sur l'Ordre en lequel tous les ordres ont leur place, et sur cet art qui rassemble tous les autres : l'architecture.
Mais elle est, d'abord, un acte de foi.
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d'eschyle à kissinger, de marx à barrès, l'occident a tenu un discours sur l'orient.
mais, puisque "l'orient " n'existe pas, d'oú vient ce discours et comment expliquer son étonnante stabilité à travers les âges et les idéologies ? " l'orient " est une création de l'occident, son double, son contraire, l'incarnation de ses craintes et de son sentiment de supériorité tout à la fois, la chair d'un corps dont il ne voudrait être que l'esprit. à étudier l'orientalisme, présent en politique et en littérature,
dans les récits de voyage et dans la science, on apprend donc peu de choses sur l'orient, et beaucoup sur l'occident.
le portrait que nous prétendons taire de l'autre est, en réalité, tantôt une caricature, tantôt un complément de notre propre
image. l'idéologie orientaliste s'est échappée depuis longtemps déjà du cabinet des savants pour précéder napoléon dans sa conquête de l'égypte ou suivre la guerre du liban. c'est de ce discours qu'on trouvera ici la magistrale archéologie, augmentée de la préface que l'auteur rédigea en 2003 pour le vingt-cinquième anniversaire de la publication originale de
l'ouvrage.
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« Ceci est une adresse. Aux femmes en général, autant qu'à leurs alliés. Je vous écris d'où je peux. Le privé est politique, l'intime littérature ».
En France, la quatrième vague féministe a fait son entrée : non plus des militantes, mais des femmes ordinaires. Qui remettent en cause les us et les coutumes du pays de la gaudriole, où une femme sur dix est violée au cours de sa vie, et où tous les trois jours une femme est assassinée par son conjoint.
Dans ce court texte incisif qui prône la sororité comme outil de puissance virale, Chloé Delaume aborde la question du renouvellement du féminisme, de l'extinction en cours du patriarcat, de ce qu'il se passe, et peut se passer, depuis le mouvement #metoo.
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« Combien de mots de 5 lettres peut-on fabriquer avec les lettres du mot tsunami ? ».
« Avec trois allumettes disposées en U, faites un carré en n'en déplaçant qu'une seule »...
Pour Georges Perec, « l'écriture est un jeu qui se joue à deux ». Dans ces Jeux et Nouveaux Jeux intéressants, il propose à ses lecteurs des mots croisés, rébus, anagrammes et autres proverbes cachés ou séries à intrus comme autant d'invitations à des jeux de logique et de lettres qui sont d'abord pour lui des laboratoires de création.
Ce plaisir du jeu se poursuit dans les Perec/rinations, également rassemblées dans ce volume, qui sont à la géographie parisienne ce que les textes à contraintes de l'écrivain sont à la littérature. Perec nous propose des visites guidées de la capitale à travers des grilles de mots croisés (une par arrondissement) et des explorations de l'espace selon des itinéraires minutieusement réglés, comme cette déambulation alphabétique, trajet « idéal qui, partant d'une rue commençant par la lettre A, aboutirait à une rue commençant par la lettre Z en passant successivement par toutes les lettres de l'alphabet ».
Parce que jouer et écrire, c'est presque tout un, laissez-vous guider à travers les lettres, le temps et l'espace, tout un monde à la Perec fait de « défis ludiques irrésistibles » (Sylvia Richardson). -
De mai à juillet 2019 se tient le procès France Télécom- Orange. Sept dirigeants sont accusés d'avoir organisé la maltraitance de leurs salariés, parfois jusqu'à la mort.
On les interroge longuement, leur fait expliquer beaucoup. Rien à faire : ils ne voient pas le problème. Ils ont même l'impression d'avoir bien réussi l'opération. L'ancien P-DG Didier Lombard a un seul regret : « Finalement, cette histoire de suicides, c'est terrible, ils ont gâché la fête ». Le problème de ce procès, c'est que les juges parlent la langue des accusés, et vice versa. Il n'y a pas d'extériorité possible. Et les plaignants, une fois de plus, sont laminés, malgré l'extraordinaire force de leur récit, de leur impossible récit.
Sandra Lucbert a assisté à ce procès historique. En écrivain, elle a écouté, observé. Convoquant le Kafka de La Colonie pénitentiaire ou le Melville de Bartleby, mais aussi Rabelais avec ses « mots de gueule » contre les « paroles gelées », dans toute leur puissance métaphorique, elle propose un texte fulgurant et rageur contre la langue et la logique monstrueuses du capitalisme. Elle met au jour, avec une admirable finesse, la perversité des méthodes et de la novlangue managériales qui, au nom du libéralisme triomphant, brisent nos vies, nos esprits et nos corps.
Elle nous met aussi face à ce constat : nous nous sommes habitués, ou peut-être lassés, et cela ne nous choque plus, ou plus assez. Nous nous sommes peut-être résignés. Mais le simple fait de faire réentendre les mots, les phrases, dans leur violence inouïe, a l'effet d'un réveil. Et ça fait mouche.
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Petit garçon juif miséreux lâché seul dans les rues de Vienne, où il est né en 1894, Jonas Sternberg y cultive spontanément une sur-acuité visuelle afin de tromper sa douleur et sa honte. Bientôt immigré aux États-Unis avec ses parents, il est conduit par une série de hasards à s'impliquer dans l'industrie tout juste naissante du cinéma, jusqu'à s'affirmer, sous le nom de Josef von Sternberg, comme un très grand maître de l'art du muet alors à son apogée.
Appelé à Berlin en 1929 pour y tourner le premier film parlant d'Emil Jannings, il remarque sur scène une obscure actrice, Marlene Dietrich. Avec L'Ange bleu, il fait d'elle une étoile majeure, dont il perfectionne ensuite l'éclat au cours de six classiques hollywoodiens. Il achève sa carrière de cinéaste en 1953, avec un ultime chef-d'oeuvre filmé au Japon : The Saga of Anatahan. Il meurt en 1969 à Los Angeles, la singularité de son génie étant dès lors reconnue, tout particulièrement en France.
Réputé pour ses traductions et ses adaptations de Henry James, JEAN PAVANS a récemment traduit des oeuvres de Percy Bysshe Shelley, Lord Byron, Ralph Waldo Emerson, Walt Whitman, Algernon Charles Swinburne. Les Démons et les Rêves de Josef von Sternberg est son troisième essai publié par le Seuil, après Le Scénario Baudelaire (2020) et Le Musée intérieur de Henry James (2016). Dans le même domaine de critique littéraire et artistique, il a fait paraître Proust, Vermeer, Rembrandt (Arléa, 2018) et Le Christ selon Berlioz (Bayard, 2018). -
L'espace de notre vie n'est ni continu, ni infini, ni homogène, ni isotrope. Mais sait-on précisément où il se brise, où il se courbe, où il se déconnecte et où il se rassemble ? On sent confusément des fissures, des hiatus, des points de friction, on a parfois la vague impression que ça se coince quelque part, ou que ça éclate, ou que ça se cogne. Nous cherchons rarement à en savoir davantage et le plus souvent nous passons d'un endroit à l'autre, d'un espace à l'autre sans songer à mesurer, à prendre en charge, à prendre en compte ces laps d'espace. Le problème n'est pas d'inventer l'espace, encore moins de le ré-inventer (trop de gens bien intentionnés sont là aujourd'hui pour penser notre environnement...), mais de l'interroger, ou, plus simplement encore, de le lire ; car ce que nous appelons quotidienneté n'est pas évidence, mais opacité : une forme de cécité, une manière d'anesthésie.
C'est à partir de ces constatations élémentaires que s'est développé ce livre, journal d'un usager de l'espace.
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Au cours de mes lectures, j'ai rencontré, côtoyé, aimé bien des écrivains anglais, célèbres ou non, vivants ou morts. J'ai voulu ressusciter leur présence, l'aura qui les entourait, l'invisible à l'oeil nu : le secret qu'une longue fréquentation et des affinités permettent parfois de pressentir. Avec le temps, en parcourant la lande avec Emily Brontë ou Kathleen Raine, en traversant les squares du quartier londonien de Bloomsbury aux côtés de Virginia Woolf, en rendant visite, dans l'île de Wight, à David Gascoyne ou en riant avec Saki, j'ai tenté de mettre au jour ces relations mystérieuses qui s'établissent entre les êtres, formant comme une communauté d'esprit. Ainsi perçoit-on, au fil des années et des liens noués, qu'une force secrète sous-tend et guide nos diverses aventures : c'est le « fil d'or » dont parlait Kathleen Raine en s'inspirant de William Blake, celui de notre vie.
Au fond, il s'agit ici d'un hymne non seulement à l'Angleterre des profondeurs, mais à l'amitié et à la lecture.
Christine Jordis poursuit son étude très personnelle de la littérature anglaise, après De petits enfers variés (prix Femina de l'essai), Le Paysage et l'Amour, Gens de la Tamise (prix Médicis Essai), Une passion excentrique (prix Valery-Larbaud). Entrée au jury Femina en 1996, elle a été enseignante, responsable des rencontres littéraires du British Council, critique au Monde des Livres, membre du comité de lecture de Gallimard. Son oeuvre compte des récits de voyage en Asie, des portraits de grandes figures de la spiritualité, des écrits intimes ou romanesques. -
L'extase du selfie et autres gestes qui nous disent
Philippe Delerm
- Seuil
- 12 Septembre 2019
- 9782021342826
Et vous, quel geste vous trahit ?
Il y a les gestes qui disent l'embarras, d'autres la satisfaction de soi, certains encore le simple plaisir d'exister, là maintenant, sur cette terre. Mais tous nous révèlent, dans nos gloires comme nos petitesses, nos amours comme nos détestations :
Le selfie, geste roi de nos vies modernes ;
Le « vapotage », qui relègue l'art de fumer à un plaisir furtif, presque honteux ;
Les hommes de pouvoir qui se grattent le dessous de leur chaussette ;
Cette façon qu'on a parfois de tourner le volant avec la paume de la main bien à plat ;
Un verre qu'on tient à la main sans le boire...
À lire Philippe Delerm, on se dit souvent : « Mais oui, bien sûr, c'est exactement cela ! » Mais lui seul aura su décrire ces gestes du quotidien avec tant de finesse et de vérité - tant de profonde analyse de la nature humaine.
Inventeur d'un genre dont il est l'unique représentant, l'« instantané littéraire », Philippe Delerm s'inscrit dans la lignée des grands auteurs classiques qui croquent le portrait de leurs contemporains, tels La Fontaine ou La Bruyère.
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Que me demande-t-on, au juste ? Si je pense avant de classer ? Si je classe avant de penser ? Comment je classe ce que je pense ? Comment je pense quand je veux classer ? [...] Tellement tentant de vouloir distribuer le monde entier selon un code unique; une loi universelle régirait l'ensemble des phénomènes: deux hémisphères, cinq continents, masculin et féminin, animal et végétal, singulier pluriel, droite gauche, quatre saisons, cinq sens, six voyelles, sept jours, douze mois, vingt-six lettres.
Malheureusement ça ne marche pas, ça n'a même jamais commencé à marcher, ça ne marchera jamais.
N'empêche que l'on continuera encore longtemps à catégoriser tel ou tel animal selon qu'il a un nombre impair de doigts ou des cornes creuses.
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Ce [...] livre est parti d'une idée assez monstrueuse, mais, je pense, assez exaltante.
J'ai choisi, à Paris, douze lieux, des rues, des places, des carrefours, liés à des souvenirs, à des événements ou à des moments importants de mon existence. Chaque mois, je décris deux de ces lieux ; une première fois, sur place (dans un café ou dans la rue même) je décris « ce que je vois » de la manière la plus neutre possible, j'énumère les magasins, quelques détails d'architecture, quelques micro-événements (une voiture de pompiers qui passe, une dame qui attache son chien avant d'entrer dans une charcuterie, un déménagement, des affiches, des gens, etc.) ; une deuxième fois, n'importe où (chez moi, au café, au bureau) je décris le lieu de mémoire, j'évoque les souvenirs qui lui sont liés, les gens que j'y ai connus, etc. Chaque texte [...] est, une fois terminé, enfermé dans une enveloppe que je cachette à la cire. Au bout d'un an, j'aurai décrit chacun de mes lieux deux fois, une fois sur le mode du souvenir, une fois sur place en description réelle. Je recommence ainsi pendant douze ans [...].
J'ai commencé en janvier 1969 ; j'aurai fini en décembre 1980 ! j'ouvrirai alors les 288 enveloppes cachetées [...]. Je n'ai pas une idée très claire du résultat final, mais je pense qu'on y verra tout à la fois le vieillissement des lieux, le vieillissement de mon écriture, le vieillissement de mes souvenirs : le temps retrouvé se confond avec le temps perdu ; le temps s'accroche à ce projet, en constitue la structure et la contrainte ; le livre n'est plus restitution d'un temps passé, mais mesure du temps qui s'écoule ; le temps de l'écriture, qui était jusqu'à présent un temps pour rien, un temps mort, que l'on feignait d'ignorer ou que l'on ne restituait qu'arbitrairement (L'Emploi du temps), qui restait toujours à côté du livre (même chez Proust), deviendra ici l'axe essentiel.
Je n'ai pas encore de titre pour ce projet ; ce pourrait être Loci Soli (ou Soli Loci) ou, plus simplement, Lieux.
Georges Perec.
Extrait de « Lettre à Maurice Nadeau » du 7 juillet 1969, dans Je suis né, Seuil, « La Librairie du XXe siècle », 1990. -
En 2024, les Jeux Olympiques se déroulent à Paris. Et ce sont les 120 du Bloomsday (la journée du 16 juin 1904 dans Ulysse de James Joyce), qui tombe cette année le dimanche de la fête des Pères.
Dans ce roman collectif, un nouveau Leopold Bloom du nom de Joseph Omer arpente un territoire de l'errance qui se situe dans la partie nord de la ville - du Tribunal de Paris, porte de Clichy, à la Villette, en passant par le quartier de la Goutte-d'Or, la gare Saint-Lazare - pour remonter vers Drancy, ou au Stade de France, ou encore à la basilique-cathédrale et sur l'île de Saint-Denis.
On retrouve quelques grandes figures de l'Odyssée (les Lestrygons, Charybde et Scylla, les Sirènes, le Cyclope, Nausicaa, Circé). Mais aussi un cheval de Troie, le retour à Ithaque, Pénélope, et la vengeance d'Ulysse. Tout cela est donc acclimaté, dans un double clin d'oeil à Homère et Joyce.
Un livre athlétique, peuplé et embarqué et certainement protégé, aussi, par une lointaine Athéna qui souffle à Télémaque : "Il est temps ! L'équipage t'attend. En route ! Il ne faut plus différer ton départ."
Bernard Comment, Chloé Delaume, Christophe Fiat, Laure Gauthier, Nicolas Idier, Maylis de Kerangal, James Noël, Marie de Quatrebarbes, Nicolas Richard, Tiphaine Samoyault, Anouk Schavelzon, Laura Vazquez.
Avec les contributions artistiques d'Anthony Audebert, Thomas Hirschhorn, Regine Kolle. -
Que jouissons-nous du texte ?
Cette question, il faut la poser, ne serait-ce que pour une raison tactique : il faut affirmer le plaisir du texte contre les indifférences de la science et le puritanisme de l'analyse idéologique ; il faut affirmer la jouissance du texte contre l'aplatissement de la littérature à son simple agrément.
Comment poser cette question ? Il se trouve que le propre de la jouissance, c'est de ne pouvoir être dite. Il a donc fallu s'en remettre à une succession inordonnée de fragments : facettes, touches, bulles, phylactères d'un dessin invisible : simple mise en scène de la question, rejeton hors-science de l'analyse textuelle.
Roland Barthes
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De son vivant, Roland Barthes a peu publié sur Proust : cinq textes ou articles - bien que ce fût sans doute, de son propre aveu, l'auteur qu'il aura le plus lu, dès l'adolescence et avec une importance encore accrue les dernières années, dans le deuil de sa mère morte en 1977, qu'il n'a cessé de mettre en écho avec la mort de la mère de Proust, en 1905.
Car Proust est un puits sans fond, et une énigme qui garde tout son vertige. Il y a le passage de la mondanité à la retraite de l'écriture (le « ça prend »). Il y a la construction par blocs de la Recherche, son moteur narratif, sa géographie, sa profondeur historique, la mémoire involontaire, la préparation des personnages, les renversements d'optique, les distorsions des modèles, bref, toute une alchimie complexe, innovante, audacieuse, l'invention d'une forme.
Barthes ouvre des pistes, prend des raccourcis, adopte, écarte, il offre une vision parfaitement moderniste d'un auteur extraordinairement moderne.
On a regroupé ici les textes parus du vivant de Barthes, la transcription de trois émissions de France Culture, quelques inédits, quelques fragments d'un cours au Collège de France, et une importante sélection de fiches issues du « grand fichier ». Au fond, ce livre répare un manque. Le « Proust par Barthes » faisait défaut. Le voilà, scintillant, vibrionnant, séminal.
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« Mon trajet est plutôt diurne et va d'Ivry à Saint-Denis, il suit à peu près la ligne de partage entre l'est et l'ouest parisiens ou, si l'on veut, le méridien de Paris. Cet itinéraire, je l'ai choisi sans réfléchir mais dans un deuxième temps il m'a sauté aux yeux que ce n'était pas un hasard, que ce tracé suivait les méandres d'une existence commencée près du jardin du Luxembourg, menée pendant longtemps face à l'Observatoire et poursuivie au moment où j'écris plus à l'est, à Belleville, mais avec de longues étapes entre-temps à Barbès et sur le versant nord de la butte Montmartre. Et de fait, sous l'effet de cet incomparable exercice mental qu'est la marche, des souvenirs sont remontés à la surface au fil des rues, jusqu'à des fragments de passé très lointains, à la frontière de l'oubli. » E. H.
Une traversée de Paris du sud au nord, où se réveillent, au fil des pas, les souvenirs de l'auteur (l'enfance, la jeunesse, les études, les pratiques de la médecine, puis de l'édition) et ceux de la ville dans son entassement d'époques et d'événements.
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Geneviève de gaulle Anthonioz, déportée à Ravensbrück, écrit, plus de cinquante ans après, le récit des mois passés au secret, dans le cachot du camp, exclue parmi les exclues.Pourquoi écrire aujourd'hui seulement ? Cette traversée de la nuit est-elle à l'origine des choix de sa vie future, cette attention portée à ceux qui sont victimes d'exclusion ? A ces questions l'auteur ne répond pas. C'est la simplicité même du récit et la stupéfiante fraîcheur d'une mémoire inguérissable qui témoignent. De cette expérience intérieure nul ne peut sortit indemne.
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Le demon de la theorie. litterature et sens commun
Antoine Compagnon
- Seuil
- 19 Mars 1998
- 9782020225069
Après le temps de la critique et de l'histoire littéraire, vint le temps de la théorie littéraire, ou plutôt des théories littéraires, qui se sont relayées et affrontées durant ces quarante dernières années.
Elles s'accordent néanmoins sur le refus de toute psychologie, sur un certain formalisme, et d'abord sur la volonté de réfuter le sens commun, les idées " populaires " sur la littérature : l'auteur comme autorité donnant son sens au texte ; le monde comme sujet et matière de l'oeuvre ; la lecture comprise comme conversation entre l'auteur et le lecteur ; le style comme choix d'une manière d'écrire ;l'histoire littéraire comme majestueuse procession des grands écrivains ;la valeur comme propriété objective du canon littéraire.
La théorie a ébranlé ces repères du sens commun, mais le sens commun a résisté à la théorie. Et celle-ci a souvent dû forcer la note pour réduire son adversaire au silence, au risque de s'enfermer dans des paradoxes. C'est le combat de la théorie et du sens commun que ce livre retrace, sans se limiter au domaine français. Le temps est en effet venu d'évaluer nos bonnes années de théorie littéraire afin d'en suggérer un premier bilan.
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Ecrits sur le theatre. textes reunis et presentes par jean-loup riviere
Roland Barthes
- Seuil
- 16 Avril 2015
- 9782021242140